Nous, les organisations soussignées, lançons un cri d’alarme concernant le déplacement forcé des Palestiniens en cours à Gaza, qui s’inscrit dans le cadre de l’intention déclarée des dirigeants israéliens de commettre un génocide. Omer Bartov, l’un des plus grands spécialistes des études sur l’holocauste et les génocides, a averti que les déplacements forcés et le nettoyage ethnique précèdent généralement le génocide. De même, 36 experts indépendants des Nations unies ont souligné que le déplacement forcé des Palestiniens de Gaza était l’un des principaux indicateurs du "génocide en cours" à Gaza. William Schabas, le plus grand spécialiste du droit international sur le crime de génocide, a déclaré dans un avis juridique qu’il existe un risque sérieux qu’Israël commette le crime de génocide à l’encontre de la population palestinienne de Gaza. Huit cent quatre-vingts autres spécialistes internationaux, experts des Nations unies et organisations palestiniennes de défense des droits de l’Homme ont également mis en garde contre un génocide en cours à Gaza.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, au 23 novembre, plus de 1,7 million de Palestiniens de Gaza étaient déplacés à l’intérieur de leur propre pays, dont plus d’un million de personnes déplacées internes (PDI) hébergées dans divers abris gérés par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
Les actions sur le terrain, combinées aux appels explicites des dirigeants israéliens au nettoyage ethnique de Gaza et à la récente déclaration du ministre de la Défense Gallant selon laquelle, une fois la "pause humanitaire" terminée, l’armée israélienne reprendra les combats intensifs pendant au moins deux mois supplémentaires, mettent en garde contre une éventuelle déportation massive de la population civile de Gaza vers l’Égypte ou un transfert permanent de civils du nord au sud de la bande de Gaza, tous deux en violation flagrante du droit international.
C’est ainsi que depuis le début de sa campagne militaire de représailles sur Gaza, l’armée israélienne a émis plusieurs "ordres d’évacuation" demandant aux habitants de Gaza de se déplacer du nord au sud de la bande de Gaza.
Les organisations palestiniennes de défense des droits de l’Homme ont catégoriquement condamné ces "ordres d’évacuation", les décrivant comme inefficaces, illégaux et essentiellement comme un outil de transfert forcé. Des préoccupations similaires ont été exprimées par des groupes régionaux et internationaux de défense des droits de l’Homme. Le Comité international de la Croix-Rouge a également mis en garde contre les "conséquences humanitaires catastrophiques" des ordres d’évacuation donnés par Israël à Gaza.
Depuis le 23 novembre, l’armée israélienne continue de faire pression sur les habitants du nord de Gaza pour qu’ils se dirigent vers le sud en empruntant un "couloir" le long de la route de Salah Al-Din, où les forces israéliennes ont établi des points de contrôle équipés de systèmes de surveillance. Ces derniers jours, de nombreux cas de violence par les forces israéliennes ont été signalés, à l’encontre de civils palestiniens qui évacuaient vers le sud par la route de Salah Al-Din en suivant les instructions israéliennes. Cela inclut des traitements inhumains et dégradants, des arrestations arbitraires, des détentions illégales et des meurtres.
Alors qu’une "pause humanitaire" limitée dans le temps est actuellement en cours, le déplacement forcé des Palestiniens de Gaza se poursuit sans relâche. Les forces israéliennes ont largué des tracts dans tout le sud de la bande de Gaza, avertissant les habitants de ne pas retourner chez eux dans le nord pendant la pause. Il a été rapporté que le 24 novembre, l’armée israélienne a tué deux Palestiniens qui tentaient de rentrer chez eux dans le nord de la bande de Gaza, tandis que plusieurs autres ont été blessés. Cette politique, associée à la destruction et à l’endommagement systématiques des habitations et des infrastructures civiles par les forces israéliennes, qui ont rendu inhabitables les villes du nord de Gaza, y compris la ville de Gaza, laisse entrevoir la possibilité d’un déplacement permanent des civils du nord vers le sud de la bande de Gaza.
Alors que la "pause humanitaire" est en cours à Gaza, il apparaît qu’Israël n’a pas l’intention de permettre aux Palestiniens déplacés à l’intérieur de leur pays de rentrer chez eux et continue de limiter l’accès de l’aide humanitaire aux personnes restées dans le nord.
En effet, l’aide qui a finalement atteint le nord de la bande de Gaza pendant la "pause humanitaire" est largement insuffisante par rapport à la gravité des dommages et des destructions causés aux infrastructures civiles par les attaques israéliennes, en particulier aux hôpitaux, et à la situation humanitaire des milliers de civils qui sont restés sur place.
En raison des restrictions à la liberté de circulation pour entrer et sortir de Gaza, et à l’intérieur de la bande de Gaza qui touchent tout le monde, y compris les journalistes, l’absence de rapports détaillés sur les conditions de vie des centaines de milliers de civils qui restent dans le nord - y compris les personnes handicapées, les malades et les blessés, le personnel médical, les femmes enceintes, les enfants et les personnes âgées - est également un sujet d’inquiétude particulier. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’entrée de l’aide à Gaza n’est autorisée que par le point de passage de Rafah, dans le sud. Kerem Shalom, le point de passage le plus important et le mieux équipé entre Gaza et Israël, près de la frontière égyptienne, reste fermé depuis le 5 octobre. Les autorités israéliennes auraient rejeté les appels à rendre Kerem Shalom opérationnel afin d’accroître l’entrée de l’aide humanitaire.
Le déplacement forcé et le refus de retour des personnes déplacées sont des violations du droit international auxquelles il faut remédier en permettant aux personnes déplacées de rentrer chez elles en toute sécurité. Le déplacement forcé est également l’un des nombreux crimes internationaux actuellement commis par les autorités et les forces militaires israéliennes à Gaza. En effet, le déplacement forcé de personnes d’une zone à une autre, par le biais d’expulsions ou d’actes coercitifs, même au sein d’un même territoire, peut être considéré comme un crime contre l’humanité au sens de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Comme indiqué ci-dessus, les "ordres d’évacuation" d’Israël peuvent en eux-mêmes être illégaux et violer le droit humanitaire international.
Les conditions épouvantables des abris dans le sud, y compris la surpopulation, la propagation de maladies exacerbées par le manque d’installations sanitaires, l’insuffisance flagrante de nourriture, d’eau potable et de médicaments, et la menace permanente d’attaques, ne remplissent pas les conditions de sécurité pour les personnes déplacées internes.
L’un des éléments du crime de déplacement forcé en tant que crime contre l’humanité est qu’il "fait partie d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et menée en connaissance de cette attaque". Les déplacements forcés auxquels nous assistons actuellement à Gaza ne sont ni accessoires ni limités aux hostilités armées actuelles. Le ministre de l’agriculture, Avi Dichter, a déclaré que "nous sommes en train de mettre en place la Nakba de Gaza", en référence au nettoyage ethnique de masse, à l’expulsion permanente et à la dépossession des Palestiniens par les milices sionistes et l’armée israélienne entre 1947 et 1949, qui ont entraîné le déplacement d’environ 750 000 Palestiniens.
Dans le contexte d’une politique délibérée de déplacement et de refus du retour, ces actes de transfert forcé peuvent même être considérés comme comportant une intention génocidaire et comme un moyen de détruire le groupe. Dans l’affaire Procureur contre Popovic, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a expliqué que le "transfert forcé" est une "considération pertinente lorsqu’on évalue l’intention génocidaire". Dans l’affaire Procureur contre Krstic, le TPIY a estimé que "le transfert forcé pourrait être un moyen supplémentaire d’assurer la destruction physique de la communauté musulmane bosniaque de Srebrenica". Il convient de rappeler que les Palestiniens de Cisjordanie, y compris de Jérusalem-Est, sont également déplacés : depuis le 7 octobre, au moins 143 familles palestiniens, soit 1 014 Palestiniens, ont été déplacés dans un contexte de violence sans précédent de la part des colons et de restrictions d’accès accrues imposées par les autorités israéliennes.
En effet, les déplacements forcés directs et indirects de Palestiniens dans l’ensemble du territoire palestinien occupé ne peuvent être isolés du régime général de colonisation et d’apartheid imposé par Israël au peuple palestinien dans son ensemble.
Les Palestiniens qui sont devenus des réfugiés à la suite de la Nakba de 1948 constituent la grande majorité des résidents actuels de Gaza (77 %) et sont dispersés dans le monde entier en raison du refus d’Israël de reconnaître leur droit inaliénable au retour. Les politiques israéliennes dans le territoire palestinien occupé depuis 1967 ont créé des environnements coercitifs pour forcer le déplacement de centaines de milliers de Palestiniens dans ce qui équivaut à un nettoyage ethnique lent mais délibéré. L’occupation militaire illégale, l’apartheid et les déplacements forcés en Palestine sont inhérents à l’entreprise coloniale d’Israël, qui vise à détruire les Palestiniens en tant que groupe, en violation flagrante du droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et à son droit au retour.
À la lumière de ce qui précède, nous demandons instamment à la communauté internationale, en particulier aux États médiateurs de la trêve, à savoir le Qatar, l’Égypte et les États-Unis, de :
• Appeler à un cessez-le-feu immédiat et permanent ;
• Intervenir immédiatement pour protéger le peuple palestinien contre les déplacements forcés et les destructions permanentes ;
• Déployer tous les efforts diplomatiques et politiques pour veiller à ce que le transfert forcé massif de la population civile de Gaza vers l’Égypte ne se concrétise pas ;
• Assurer le retour en toute sécurité des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays le plus tôt possible, en particulier dans le nord ;
• Veiller à ce que, pendant les trêves, les Palestiniens soient autorisés à se déplacer librement à l’intérieur de la bande de Gaza, y compris vers leurs maisons dans le nord de la bande de Gaza ;
Signataires :
Renaissance arabe pour la démocratie et le développement
Al-Haq
Centre Al-Mezan pour les droits de l’homme
Centre d’action communautaire, Université Al-Quds
Law for Palestine
Traduction : AFPS
Photo : Law for Palestine